Skip to content Skip to footer

“Jérôme, tout au bord”, de Clotilde Escalle

Parution du nouveau roman de Clotilde Escalle. Un évènement.

“Absolument vertigineux” – Marie-Hélène Lafon

“Une sublime écriture” – Pierre Jourde

La force effective de la création est de faire du réel. Et c’est avec Jérôme, tout au bord, son roman paru ce 9 janvier 2025, que Clotilde Escalle crée du réel, éminent. Premier roman du catalogue 2025 de Fables fertiles. Jérôme, tout au bord est tout d’abord un choc littéraire, vibrant, qui scelle parfaitement la rencontre, fertile, avec notre maison. Il sera notre roman de la petite rentrée littéraire, ou plutôt le roman de ladite rentrée, tant il est ce joyau dont la vocation est d’être la plus vaste des propriétés de tous qui soit.

Le roman nous engage dans une bouleversante traversée de lointains intérieurs, dans cette auscultation patiente, conduite avec une force et une justesse sidérantes, des affres de qui ne sait plus comment continuer à se mouvoir, comment continuer. Là où la glue doloriste se complaît à donner le spectacle de la douleur, Clotilde Escalle abaisse la scène, tamise les feux des projecteurs, tant les vérités difficiles de l’être sont rêches, émouvantes, ne sont pas à brader. Un récit où se tissent absurde, humour et tragédie.

EXTRAIT :

« Le voilà dans sa ressourcerie. Il dit que c’est la sienne depuis qu’il a organisé le déménagement de sa mère morte et livré tout ici. Ne laissant dans la maison au crépi qui prend l’eau qu’un lit de métal, de quoi faire sa toilette, du gaz pour manger, un vieux buffet, des assiettes. Il y va aux beaux jours quand la chasse est terminée. Sinon il se terre chez lui, dans le même effroi que les bêtes traquées. Ne supporte pas les canonnades qui font déteindre les yeux des sangliers et des chevreuils. Ne supporte pas non plus les vaches et les veaux parqués. Parfois ne supporte plus l’enfermement de la campagne. Le sang, les pulsations comptées pour chaque bête. L’hiver jusqu’à s’y enliser et rester mouillé là-dedans comme un pieu qui pourrait par une absurdité quelconque se remettre à fleurir le moment venu. La télé sur le monde où la neige fond plus que de raison, une guerre éclate. Têtes qui bougent dans tous les sens. Son coupé, le petit écran à côté de la fenêtre. Une ou deux personnes passent rue de la Liberté, ils ont voulu l’appeler ainsi, comme si c’était possible. Silence, pas glissants et vêtements gris. Des rideaux pour se protéger l’été de la lumière effroyable. Il dit bien effroyable, comme si ça le dégoûtait. Et un cahier où noter ce à quoi il pense, quand ça revient de manière insistante, surtout au petit matin, au sortir du rêve. Les premiers mots comme un chapelet de prières. Sa propre identité, il dit propre en riant, car ça ne tient pas debout. Son identité, fils de, soixante-cinq ans, sa mère partie depuis un bout de temps. Rien d’ambitieux, que du petit nom. Jérôme Veulin. S’écoute dire son nom, le redit, ne s’y habitue pas. Il joue encore à ça, n’use pas du diminutif donné par la mère, ça lui ferait monter les larmes. Jiji, mon petit Jiji, aussitôt le collier de bras perdus. Et lui, s’enserrant comme il peut, un chiffon humide sur le front comme une main fraîche.

Ne supporte plus ses voisins, ni les bêtes immobiles dans le froid des prés, ni la pluie boueuse de janvier et février. Ne supporte plus le néon de la cuisine qui grésille quand des mouches s’y grillent. Et cette pluie encore et toujours. Ni la pleine lune avec son ventre plein de promesses. Rien, du décor. Ni la figure dans le miroir au-dessus du lavabo, les yeux fripés, le regard ahuri. À peine le temps de et pffff, tout seul. Un stock de boîtes de conserve dans l’appentis. Un repas par jour, vite avalé. Des œufs donnés par le fermier. Les rideaux tirés et le chacun chez soi, mais la solidarité. Ils viennent taper au carreau. Des fois qu’on le retrouve mort, sans plus ce sourire qui éclaire nos faces à nous aussi, dit le paysan, quand il le voit arriver. Jérôme, comment peux-tu encore sourire ? Et tous de regarder le ciel, comme lui, les yeux plissés. Tu es fou, Jérôme, rien ne viendra par là.

Un jour, il s’est mis à vibrer, à éprouver plus grand que lui. Ça l’enveloppe. Quelque chose d’invisible. Ça monte plus haut que la tête et ça irradie. En marchant à certains endroits de la campagne, se sent littéralement soulevé. Scrute le ciel planqué derrière les arbres et les nuages. C’est numineux, lui a dit le curé. Lumineux ? Non, numineux. S’est contenté de la face béate du curé et de son mot mystérieux. Lumineux, numineux. Continue à regarder les arbres, les nuages, a ajouté le curé. Une immensité se découvre par moments à ceux qui regardent longtemps.

Une lumière à ras du sol et dans les yeux. Comme si des présences s’affairaient autour de lui, transparentes, invincibles, cuirassées, protectrices. Il s’est mis à y croire. »

Leave a comment