Une structure toute récente, dénommée Les Nouveaux Editeurs, se propose de regrouper et de soutenir des éditeurs indépendants. Bonne Nouvelle ?
Les Nouveaux Éditeurs (« LNE »), « groupe indépendant » (cf. « Notre vision », sur le site internet de LNE), se propose de regrouper plusieurs maisons d’édition indépendantes à « haut potentiel » sous une même structure en leur offrant « soutien logistique, financier et administratif, tout en préservant leur autonomie éditoriale ». Au menu, « agilité », optimisation des procès, innovation et grande variété de genres (littérature générale, jeunesse, BD, etc.), destinés à un large public.
LNE a été créé en juin 2024. Le groupe est dirigé par Arnaud Nourry, ancien PDG de Hachette Livre. LNE a noué un partenariat stratégique avec le groupe américain Simon & Schuster et est distribué et diffusé par des structures du groupe Madrigall (Éd. Gallimard ; Flammarion ; J’ai Lu ; Casterman ; Denoël ; Minuit…).
Un acteur “nouveau”, en rupture avec le modèle dominant d’extrême concentration du secteur et de ses pratiques ?
Storytelling
L’expression « Les Nouveaux Éditeurs » évoque d’emblée l’idée d’une rupture avec les modèles, “anciens”, de l’édition des grands groupes intégrés (Éditis, Hachette, Madrigall…) ; elle convoque ces images d’un souffle nouveau, d’une autonomie créative, et, pourquoi pas, d’un certain esprit d’artisanat…
Le groupe de l’ancien PDG du plus grand groupe d’édition français (Hachette Livre), par-delà le storytelling, met ainsi en tension le discours de nouveauté et de la reproduction d’une logique industrielle pilotée par des acteurs issus du système dominant, affichant une maîtrise d’un vocabulaire de légitimation.
Indépendante, la tutelle
Le modèle LNE repose sur un principe séduisant, tel qu’énoncé à grands renforts de communication, puisque chaque éditeur reste maître de sa ligne éditoriale tout en bénéficiant d’un soutien logistique et financier collectif.
Mais le financement et les infrastructures appartiennent à un groupe centralisé au capital social déclaré de 4 098 799 euros, qui mentionne en outre la holding Artémis, holding de la famille Pinault, au capital de LNE depuis février 2025 (nota : deuxième actionnaire aux côtés de la holding « Les fondateurs LNE »). Lors de la création du groupe, son fondateur, Arnaud Nourry, indiquait par ailleurs disposer pour un démarrage d’un capital ou d’un financement « entre 5 et 10 millions d’euros, de quoi tenir deux à trois ans ».
Comment dire ? Quelle indépendance — laquelle est à associer à la notion de risque dont l’éditeur ne rend compte qu’à lui-même —, qui serait celle d’un, parmi les embarqués ? Quid de la diversité des approches, en termes de pratiques commerciales, de politiques de diffusion ? du risque artistique non “bankable” qu’assument grandement les véritables indépendants ? La dépendance économique n’est jamais un détail d’une histoire, mais une limitation des marges de manœuvres. Et dépendre, dans ce cadre, d’une holding, n’est pas davantage un détail.
Indépendance industrielle “corporate”, pas nouvelle
Start-upisation de l’édition ; rhétorique marketing et managériale de la créativité et de la liberté « corporate » ; capitaux stratosphériques, vu de l’édition véritablement indépendante qui publie sur fonds – ou bas-fonds – propres, en habituée de la notion de péril s’agissant de nombre de ses acteurs, et souvent en dehors des voies royales que sont les circuits dominants détenus par les grands capitaines d’industrie, c’est là la lourde réalité, qui laisse pantois, considérant telle récupération du label “indépendant” à des fins d’image par un acteur capitalisé.
La Nouveauté est grandement de façade ; n’est pas structurelle, et il n’est de jeunesse à tout cela, mais un brouillage savamment programmé de la perception publique de ce qu’est une vraie maison indépendante et un groupe indépendant. La stratégie est de repositionnement de l’édition industrielle récupérant la notion d’indépendance pour tout le poids de sa valeur symbolique.
L’édition indépendante ? Une dynamique qui peine, mais des valeurs d’un certain genre ; des catalogues – de « l’innovation » qui n’est élément de langage.
Soutenir l’édition indépendante ? À vous, lecteurs.
© GD, pour Fables fertiles