par Galien Sarde
Échec, et Mat est le seul de mes livres dont la fiction provienne d’un rêve que j’ai fait. Deux ou trois scènes de celui-ci, matricielles, ont généré l’intrigue, autour de laquelle s’est développée l’histoire globale de Théo, vite associée à celle de Mat. Parmi elles se trouve le point de chute de l’accident final, au bout du canyon. D’un point de vue stylistique, le fait d’avoir opté pour un récit à la première personne a eu des répercussions manifestes. L’urgence de Théo, aiguillée par Mat, s’est traduite d’emblée par des phrases syncopées, que j’ai suivies jusqu’au bout. L’ardeur de Mat, infatigable, entretient la fièvre qu’elles répandent, le caractère convulsif de cette dernière. La ferveur de Doris y concourt également, grandement inflammable. De manière générale, les profils qu’on croise en bas, dans les souterrains où l’on plonge dès le troisième chapitre du livre, confortent cette esthétique heurtée, par la trempe qui leur est propre. Vif et trépidant, le style qui porte cette esthétique revêt un sens psychique – et plus précisément cognitif. Il exprime ce que vit Théo, contraint de se reconfigurer mentalement au fil des épreuves qu’il traverse à toute allure. Le monde dans lequel il vivait – l’univers de croyances qui en était le fondement – s’effondre, de fait, pour un autre monde, qui s’esquisse à travers ses découvertes successives. D’où le chaos qui disloque les phrases du livre, les ajournements qu’on y trouve fréquemment : Théo est souvent à la traîne du réel où il baigne, victime d’un « léger temps de retard » que pointe le roman lui-même, dès que le héros touche aux souterrains. Les révélations qui le frappent amplifient le lyrisme du texte, en dramatisent les notes de façon vertigineuse. Cela est d’autant plus vrai que, toujours sur le plan psychique, il est possible de voir dans l’antinomie qui existe dans la Cité entre sa surface et ses souterrains, d’ailleurs divisés en trois zones distinctes – blanche, grise et noire –, des métaphores des lieux psychiques de la première topique freudienne : du conscient et de l’inconscient, entre lesquels s’étend le préconscient. La topographie de la ville s’avère alors mentale et sert les jeux qui opèrent entre réel et imaginaire. La ligne rouge qui cerne la Cité souligne cette virtualité. Au-delà de sa fonction spatiale, elle visualise la notion de limite dans sa dimension psychique, telle que l’établit le pouvoir en place. Elle distingue l’espace permis (la Cité) de l’espace proscrit (le désert qui l’environne). En même temps, elle symbolise le départ entre l’espace du mensonge et celui de la vérité – ou encore, si l’on préfère, entre celui de la fiction et celui du réel. Par là même, tout autant que mes autres romans, Échec, et Mat est métafictionnel. Il questionne en dernier ressort le concept même de fiction, tant au plan individuel qu’au plan collectif. À cet égard, parmi les messages que convoie son récit, le principal me semble être qu’il est impossible d’échapper à la réalité d’où l’on vient – à tout le moins très difficile. Qu’on le veuille ou non, il faut faire avec. La dimension tragique du livre, criante à la fin, en est le signe formel et implacable, sans pourtant être définitif : un au-delà plane dans Échec, et Mat, une vie post-mortem.