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Littérature en science : ruine de l’âme scientifique ?

L’idée qu’un certain nombre de productions à caractère scientifique, dans le champ des sciences humaines, notamment, et en particulier de l’anthropologie, puissent mettre en jeu des stratégies narratives, des voix amplement singularisées, un style… – et donc signer littérature – a longtemps été considérée comme ce qui constituait et constitue une marque du discrédit, de stratégie discursive narcissique, qui détournent, divertissent de l’objet.

Le débat conserve son actualité. Le langage des sciences se doit d’être efficace, transparent.

Clifford Gertz, qui produisit une étude très fine sur le sujet (« Ici et là-bas – l’anthropologue comme auteur » (Métailié, 1996, pour la trad. française)), écrit : « Comprendre comment Conrad, Flaubert, ou même Balzac, obtiennent leurs effets est une chose ; se lancer dans une entreprise similaire pour Lowie ou Ratcliffe-Brown, et je ne cite que des morts, semble comique. On admet que quelques anthropologues – Sapir, Benedict, Malinowski, Lévi-Strauss aujourd’hui – ont un style littéraire particulier et que les tropes ne leur font pas peur. Mais c’est plutôt exceptionnel, et à leur désavantage. Cela suggère même une pratique douteuse ».

Les auteurs de travaux scientifiques s’épanchant ainsi serviraient un relativisme corrosif abîmant la science.

Telle accusation de relativisme coupable est-elle en effet frappée du bon sens, ou ne serait-elle que l’un des avatars d’une conception positiviste des sciences sociales ? Peut-on être tout à la fois et d’un même mouvement savant et écrivain ?

La littérature peut beaucoup… La description scientifique littéraire « hante » longtemps, qui creuse ses sillons de voix audacieuses pour être acceptée, réfutée, débattue. Elle sait le supplément de ce voyage dans le voyage, qui convoque l’éveillé et le dormeur, et donc des pans élargis de perception qui nourrissent et procèdent à telle époque et en tel lieu d’un “état des imaginaires de la science”, mobiles, constitués d’intuitions, aussi, de voix.

La littérature est un lieu de savoirs, et ceux-ci prennent place à côté ou aux côtés de savoirs ; la littérature transforme, transporte.

Il ne s’agit là aucunement de tentative de déconstruction de la science ; il ne s’agit pas davantage d’émettre quelque doute quant aux cadres épistémiques que la science se doit de se donner en parfaite rigueur, mais de partager cette simple idée qu’aucun mode de connaissance ne se constitue en dehors des formes dans lesquelles il accède à une expression.

© Guylain Dai 2022 pour Fables fertiles

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