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Qu’est-ce que la littérature ?

« Littérature » nous vient de Tacite (historien, philosophe et sénateur romain) et de Quintilien (rhéteur et pédagogue latin), et signifie en leur Siècle (1er siècle après J.-C.) la grammaire, ou l’alphabet.

S’agissant du mot au sens tel que nous le connaissons aujourd’hui, la philosophe et anthropologue Carlotta Santini parle d’un « étrange accident » qui aurait conduit à un sens issu d’une crase entre litterae et cura [1]. F. Nietzsche, dans ses leçons de littérature grecque, dira que lorsqu’elle relève des lettres, la littérature implique un répertoire sur lequel l’homme exerce son goût, et adresse son soin (cura).

Le goût, un soin…

Un écart est donc introduit avec le sens premier du mot (soit la grammaire, l’alphabet), tout autant qu’avec son étymologie plus tardive, puisqu’à la fin du XVème Siècle, on retient notablement de littérature « érudition, connaissance (acquise dans l’étude des livres) » (J. de Vignay, Miroir hist. ds DG); ca 1500 (Philippe de Commynes, Mémoires, éd. J. Calmette, t. 2, p. 340)[2], sans référence aux notions de goût pour les lettres, qui appelle le soin qui leur est réservé.

La synthèse des deux acceptions révèle pour autant une logique cohérente : le goût, la disposition, l’appétence conduisent à une démarche de connaissance aux fins de porter le meilleur soin.

Science humaine

Viser une connaissance approfondie, en littérature, répond à des visées internes (les lettres, puissant médium en tant que tel – on peut ici penser au mot de René Char dans Chants de la Balandrane : “les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux”) et externes (les lettres au service de la (re-)connaissance partagée du monde). Tzvetan Todorov qualifiait en ce sens la littérature de « première des sciences humaines ».

Illustration : © Igor Morsky

Si une majorité de lecteurs affirme montrer un intérêt pour la littérature afin de se distraire davantage que pour acquérir des connaissances, il est fort à parier qu’être propulsé dans une époque ; dans la tête d’un empereur romain ; d’un astronaute ou d’un tueur en série implique à la fois processus d’intériorisation et processus de connaissance – non pas « du réel », mais de vérités du monde au sens de représentations acquises individuellement et collectivement, au croisement de la création et de l’observation ; au faîte de nos imaginaires (d’écrivains, de lecteurs), qui travaillent le monde.

© GD2022, pour Fables fertiles


[1] « Le sens du mot, tel que nous le connaissons aujourd’hui, a son origine dans un étrange accident qui s’est produit dans la transmission d’un texte de Cicéron où il est dit de César : Fuit in illo ingenium, ratio, memoria, litteratura, cogitatio, diligentia (Cicéron, Philippiques, II, 116). Litteratura signifie ici que César avait une pratique des lettres qui n’était pas négligeable, donc il était un homme instruit. Cependant, une variante contenue dans un codex du Vatican dit quelque chose d’un peu différent : fuit in illo ingeniuem, ratio, memoria, litterae cura (soin). Le mot littérature et son sens le plus moderne seraient donc issus d’une crase entre litterae et cura » (in Friedrich Nietzsche, Histoire de la littérature grecque, « Écrits philologiques », tome XI, par Marc de Launay (Traduction) et Carlotta Santini (Introduction), Les Belles Lettres, Paris 2021.

[2] Source : CNRTL

1 Comment

  • Véronique Coquard
    Posted 29 juillet 2022 at 16h07

    Merci pour ce coup de projecteur sur le mot littérature. En effet il y a l’art d’écrire, tout ce processus de la chose écrite, façonnée avec soin, polie avec le temps et par le regard, sa mise en musique dans l’intime, voire son expression audible par le verbe. Je suis heureuse de lire des œuvres de qualité, enrichies de préfaces harmonieuses et en quelque sorte sécurisantes par leur solide préparation. Belle aventure que cette ligne éditoriale, qui ne peut qu’enrichir le regard et répondre aux aspirations parfois seulement perçues par bribes et donc apporter du contenu et des mots très constructifs.

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