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Apparition vraie : Jules Supervielle

Jules Supervielle est un poète, romancier et novelliste français (il a également écrit pour le théâtre ; un récit ; des contes) né le 16 janvier 1884 à Montevideo et mort le 17 mai 1960 à Paris.

L’écrivain œuvre de sorte que les mots « s’effacent » derrière ce qu’il veut dire, et ceux-ci – ces mots d’un vocabulaire concret – passent donc au tamis, tous, aux fins de ne voir préservé que ce qui veut être dit, que ce que quelqu’un veut dire, soit ce que veulent dire Jules Supervielle éveillé et Jules Supervielle, dormeur conscient.

Le mot automatique et plus encore l’effet de manche par le mot ne trouvent pas Jules Supervielle. Le répertoire de l’écriture réaliste suffit à constituer sa ressource première.

Une écriture claire et limpide ancrée dans le réel se déploie ainsi, mais la voix porte lambeaux “rêveurs et imagés” [1], lesquels engagent tout un processus de transformation, de métamorphoses. Jules Supervielle est un chercheur, un chercheur émérite dont le souci de l’exactitude, s’il peut devenir halluciné, demeure constamment présent.

© GD2022 pour Fables fertiles

Portrait de Jules Supervielle à vingt-six ans,
d’après une eau-forte de Fernand Sabatté (1874-1940)


« (…) Les bêtes se regardent longuement pour tâcher de comprendre, puis se couchent. Une voix légère mais qui vient de traverser le ciel les réveille bientôt.

Le bœuf se lève, constate qu’il y a dans la crèche un enfant nu qui dort et, de son souffle, le réchauffe avec méthode, sans rien oublier.

D’un souriant regard, la Vierge le remercie.

Des êtres ailés entrent et sortent feignant de ne pas voir les murs qu’ils traversent avec tant d’aisance.

Joseph revient avec des langes prêtés par une voisine.

— C’est merveilleux, dit-il, de sa voix de charpentier, un peu forte en la circonstance. Il est minuit, et c’est le jour. Et il y a trois soleils au lieu d’un. Mais ils cherchent à se joindre.
À l’aube, le bœuf se lève, pose ses sabots avec précaution, craignant de réveiller l’enfant, d’écraser une fleur céleste, ou de faire du mal à un ange. Comme tout est devenu merveilleusement difficile ! »

Extrait de la nouvelle Le Bœuf et l’Âne de la crèche, d’abord parue en 1930 dans La Nouvelle Revue française (n° 207, Décembre 1930, p. 772-790))

Le silence cherche un abri

Et tout lui semble plein de bruit

Ah ! même la biche envolée

Et le lièvre au bout de l’allée

Ou l’arbre d’un pays sans vent

À plusieurs lieues de l’océan.

Mais peut-être qu’une cabane

Au fond d’une âme diaphane

Ou bien quelque masque terreux

Avec de grands trous pour les yeux

Et le front sans une pensée

Offrant sa matière glacée,

À moins que l’oreille d’un mort

Où les bruits n’osent plus entrer

Et forment le cercle au dehors

avec un maussade respect ?

Mais il préfère s’attarder

Aux lèvres d’un clairon de pierre

Où il feint de se déchirer

Pour son ivresse solitaire.


in La Fable du monde, Poésie/Gallimard, NRF, Paris, 1938, p. 91.

[1] Supervielle, dans un entretien de 1954, déclarait : “Pour moi, le poète doit être éveillé tout en gardant des lambeaux de sommeil conscient, je veux dire de sommeil rêveur et imagé.”

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