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“Sensitivity readers” – experts en nouveaux publics

“Lecteur en sensiblerie” ? “Agent polisseur” ? “Agent de la force de l’ordre littéraire” ?

Comment franciser ? Mais pourquoi franciser, peut-être bien ? La langue nouvelle est une modernité de sa propre sonorité, de son propre genre.

Les “sensitivity readers” sont des lecteurs et ces nouvelles mains au service d’éditeurs dont la forte sensibilité à la bienséance nécessite de faire réécrire ce que les morts, dont les œuvres sont passées à la postérité, ont mal écrit en leur siècle de vivants du fait d’un manque d’égard pour les générations futures – des écrivains insensibles au développement durable, en somme.

“Les écrits restent” ? Pas sûr.

La police de la réécriture des œuvres littéraires du passé est une Inquisition sécularisée de la pire espèce. Les minorités et autres majorités du XIXe siècle ne sont pas des enfants à protéger malgré eux de ce que portait telle ou telle époque d’idées, de valeurs qui posent problème à la société de l’homo sapiens du XXIe siècle.


Telle police de la bien-pensance est une injure faite à la création, à l’œuvre, qui, dans sa forme finale, fut le résultat de processus créatifs libérés de la censure. Une injure faite aux créateurs, à la littérature. Ces effacements, euphémisations, voire neutralisations, de mots ou de passages d’œuvres sont dramatiquement investis de l’esprit de 1984 de George Orwell.


Les œuvres littéraires du passé doivent pouvoir témoigner de ce qui a traversé un temps la conscience et les imaginaires de femmes et d’hommes, “aussi”. Dont ce qui nous choque aujourd’hui, d’un regard diachronique. Sinon, et dans la mesure où l’on finit toujours par trouver ce que l’on cherche, pourquoi ne pas dénicher ce qui est choquant dans chaque œuvre ? A compter du moment où l’on supprime le mot “gros” pour le remplacer par “énorme”, tout devient possible…

Quelle œuvre ne pose pas “problème” petit ou… énorme, si l’on pense à “la sensibilité des nouveaux publics” ? Du côté “froid ressenti” dans le dos, la question gèle notre colonne.
Et les œuvres de la fin du XXème siècle et du début du XXIème ? Sont-elles suffisamment propres, nettoyées ? Bon, les auteurs sont pour la plupart vivants et titulaires de droits, ou morts ayant laissé des ayants-droit. Patience, alors… Le domaine public sera le domaine où l’on expurge.


La littérature, nous avions repris le mot de Zsvetan Todorov dans un précédent article pour tenter d’approcher ce qu’elle peut être, peut tout à fait être considérée comme la première des sciences sociales. Elle est en ce sens et dans “le pire des cas” un témoin, une archive qui permet d’appréhender et de comprendre une histoire de l’évolution des consciences, des idées, des Lettres.
S’il s’agissait d’élargir les termes d’une réflexion au sujet de la création artistique, nous pourrions en venir à nous demander si une œuvre doit pouvoir choquer. Or, nous pensons, à l’instar de René Char, que “ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience”. C’est simple.

Notre maison d’édition préfèrera toujours le texte non profané (avec corpus explicatif, au besoin) ou non réédité (mais lorsqu’il s’agit d’amasser de l’argent avec une poule aux œufs d’or, on réédite… “Sensitivity readers ? Au rapport !”).

Nous dénonçons avec la plus grande vigueur de telles pratiques éditoriales que nous jugeons néfastes, indignes.

© GD 2023 pour Fables fertiles 

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